Bonjour à tous.
Sur Internet, sur un forum, j'ai trouvé ça :
« Sous l'étain pas dans la boue un chien qui hume un tas qui geint l'obscurité glisse vers la terre grasse l'enchevêtrement brun des restes et glisse encore. Les sols gorgés exsudent les sucres de la pourriture pour des coquelicots frémissants en devenir sous la croûte. De là partent galeries conduits humides boyaux visqueux qui s'enfoncent toujours plus profond dans la germination. C'est ainsi qu'un organisme éclot tout en bouche, un filet de voix noyé à l'hélium. »
Bon. Ça me fait penser, moi, qu'il y a deux écoles, en littérature : ceux qui s'efforcent de trouver la forme la plus simple et la plus efficace pour faire passer des idées ou des émotions complexes, et ceux qui font l'inverse. Ceux-là on le retrouve souvent sur les forums de poésie. Quand j'ai débarqué sur Internet il y a quinze ans, me disant que ce serait un bon moyen de me faire connaître et de trouver des lecteurs – un meilleur moyen, en tout cas, que ce que je faisais à ce moment-là dans ce but, c'est à dire : rien, j'ai fait un petit tour de ce qui s'écrivait, se lisait, se commentait. Il y a une chose qui m'a frappé. Je me suis dit mais bordel, comment faire pour que tout le monde pige de suite que je ne fais pas partie des 95% de tarés qui écrivent de la merde et prennent Internet pour leur déversoir personnel, que je suis un véritable écrivain et pas un débile qui fantasme à l'être ? Ça peut paraître arrogant mais je savais qui j'étais. Je savais que j'étais un mauvais écrivain, c'est à dire un écrivain débutant, sans presque aucun moyen technique, sans discipline, sans que dalle, mais, merde, un écrivain quand même. Je savais que je n'écrivais pas, que je n'écrirais jamais, « sous l'étain pas dans la boue un chien qui hume un tas qui geint » ; je le savais. Et puis j'ai roulé ma bosse, bon. Maintenant je m'éloigne d'Internet. Mais je suis content de constater que depuis tout ce temps le niveau s'est un peu élevé. C'est à dire, les incapables le sont toujours et sont toujours là (il n'y a pas de miracle), mais la jeune génération est meilleure, même s'il n'y a pas souvent de quoi s'en relever la nuit. Bref. Et tandis que je méditais sur l'incroyable beauté de « l'obscurité [qui] glisse vers la terre grasse », j'ai reçu un mail. Vous verrez, il y a quelques phrases qui percutent aussi. Il faudrait, je pense, que quelqu'un tisse des liens théoriques entre la poésie expérimentale du dimanche et les spams automatiquement traduits. Il faudrait un universitaire un peu cinglé.
« Bonjour, Je suis tombé sur votre adresse e-mail lors d'une promenade dans mon temps libre sur internet et c'est là que j'ai décidé de vous contacter dans la mêlée pour vous parler de mon but, car il est dans le fer au feu devient acier et la trempe. C'est la douleur que l'homme est la révélation de sa force. Je souffre d'une maladie qui dégrade ma santé au quotidien et la médecine ne pouvait rien faire pour me sauver pendant trois ans. Conscient de ma décision, j'ai décidé de vous écrire pour vous avoir une affaire avec vous pour sauver les enfants atteints de maladies graves. Je veux mettre dans mon procession des fonds d'une valeur d'environ € 800 000 (cent mille Euros Hui) que j'ai gardé dans une banque parce qu'ils n'ont personne qui peut bénéficier de ma propriété. »
Sinon c'est la rentrée littéraire, bientôt. On parle déjà des premiers livres publiés par les nouveaux romanciers de cette année. Quelques éléments biographiques filtrent dans la presse : étudiante en philosophie ; éditeur ; journaliste ; auteur d'une thèse de philosophie ; ancienne libraire devenue journaliste ; éditorialiste des Inrocks ; étudiant à Normale-Sup. Woaw. Juste pour comparer, quelques éléments biographiques des crevards de La Grosse Revue : employée d'un laboratoire d'analyses ; guide touristique ; femme de ménage ; chômeur ; bénéficiaire de l'AAH ; travailleur social ; prof en mi-temps thérapeutique ; suicidé – bon, j'arrête là la liste, vous avez pigé l'idée.
Moi, je ne tire de tout ça aucune conclusion. Vraiment, aucune. A part que c'est toujours pas cette année que je vais camper devant la FNAC en attendant septembre.
Retour au travail au cours de cette quinzaine, même si elle a été un peu mouvementée. Mes divers manuscrits en cours sont en train, pour certains, de fusionner. Ça me donne l'impression d'un gros ragoût qui mijote, ou alors d'un monstre étrange qui absorbe des trucs et des machins. Le monstre, c'est Descente, et ceux qui se font tranquillement absorber, ce sont Rien à foutre et Zone d'ombre. Je l'avais pressenti il y a quelques semaines, et désormais c'est sûr et certain.
Voici un extrait de Rien à foutre, qui devrait finalement se retrouver dans Descente (c'est du premier jet absolument pas relu) :
CASSETTE 1 / FACE A
TEST
— Bon, raconte quelque chose, c'est juste pour vérifier la bande. Raconte ce que tu veux, on s'en fout.
— Tiens c'est drôle, il y a un truc qui me revient.
— Vas-y, raconte.
— C'est quand j'étais en foyer. C'était en pleine nuit. J'avais entendu du bruit dans les lavabos. Vous savez, c'était le genre de foyer où on pouvait circuler sans problème, j'avais les clés de ma piaule et tout, c'était des bâtiments isolés de la route, en périphérie de la ville, quatre ou cinq bâtiments d'habitations et un autre qui servait de réfectoire, cuisines et bureaux pour les éducs et tout ça.
— Oui...
— Et donc dans chaque bâtiment, une demi-douzaine de chambres individuelles et un local avec quelques douches et des chiottes, et c'est de là que vient le bruit, un bruit de baise j'avais l'impression – sauf que c'était pas mixte, le foyer, et de toute façon ça ressemblait davantage à deux mecs en train de baiser, plutôt qu'à un mec et une fille.
— Et tu as fait quoi ?
— Bin d'abord je suis resté un moment à écouter. Il devait être, je sais pas, deux ou trois heures du matin, quoi, c'était les vacances de Noël, et je pensais être le seul type encore dans le foyer, je pensais qu'ils étaient tous partis en vacances.
— C'est bon, ça enregistre.
— Ah ? Et je [...]
RECIT
— Vas-y, continue ton histoire, termine.
— Ça enregistre, là ?
— Oui.
— Vous êtes sûrs ?
— Oui, oui.
— Bon. J'y vais, alors.
— Nous t'écoutons.
— Au bout d'un moment, je me suis levé pour aller voir. Je me suis approché doucement, pour mater, quoi. Je voulais pas les interrompre ou quoi, et surtout pas me faire voir, juste me marrer un coup, enfin, voir, quoi. Pour une fois qu'il se passait quelque chose. Et moi à l'époque je n'avais pas baisé. Et puis ça me rappelait ce type dans la gare, enfin ça c'est une autre histoire.
— Quel type, quelle gare ?
— C'était avant que je sois au foyer. Vous voulez que je vous raconte tout dans l'ordre ?
— Oui, mais termine ton histoire d'abord. Donc, tu finis par te lever et tu te diriges vers les douches, c'est ça ?
— Oui, c'est ça.
— Continue, alors.
— D'accord.
— Donc me voilà en route vers les chiottes. Je n'allume pas dans le couloir, mais la lumière qui filtre des toilettes, plus une veilleuse qui est allumée en permanence, suffisent. Les bruits se font plus forts, plus intenses. Vu qu'il n'y a personne d'autre que moi dans les couloirs, je comprends que je suis seul, enfin, c'est à dire, seul avec eux, quoi. Je me mets à la serrure, à genoux, et je regarde. Et là, putain, ce que je vois, c'est Samir, un grand Arabe qui vit en principe dans le bâtiment voisin, avec un autre type, tous les deux sont à poil, l'autre type, que je ne connais pas, a la gueule en sang et c'est ça que j'entendais depuis la chambre : Samir qui explosait la tête du type contre les lavabos (il y a du sang partout, sur le sol, sur les miroirs, les robinets, partout) et qui l'enculait – de force, j'imagine.
— Tu as fait quoi ?
— J'ai ouvert la porte et je suis rentré.
— Pourquoi tu as fait ça ?
— J'en sais rien. Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête. Je n'allais pas très bien à l'époque. Enfin, je ne suis jamais allé spécialement bien. Mais là, comment dire. Je n'allais vraiment pas bien. Je n'avais aucune ressource, aucune solution, rien. Je me contentais d'aller mal et c'est tout, quoi. Est-ce que je voulais que Samir me démonte la gueule comme à ce type ? Ou alors est-ce que je voulais qu'il m'encule, qu'il me viole ? Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui, je n'en sais rien du tout. Je pense que j'avais juste la tête vide.
— Et tu es entré dans le local.
— Oui, j'y suis entré.
— Que s'est-il passé ?
— Rien. Enfin, rien de plus. Samir m'a vu. Il avait l'air calmé. Il a regardé le type qui ne bougeait pas, au sol, et puis moi, et il a dit : « Ho, c'est bon, j'ai tué personne, ça va. Moi je me casse, je vais dormir, salut. » Sauf que si, il était mort, le type.
— Mort ?
— Oui, mort. C'était la première fois que je voyais un homme mort, mais je peux vous dire que je n'ai pas hésité beaucoup. Mort, il l'était. Aucun risque de confondre. Je suis devenu livide, j'ai cru que j'allais me trouver mal. Je me suis dirigé vers un lavabo propre et je me suis aspergé d'eau.
— Et ensuite ?
— Ensuite j'ai téléphoné aux flics. C'était avant les portables. Il fallait descendre à la cabine téléphonique. Elle était à quatre ou cinq cent mètres, dans la cité voisine. Là-bas, les mecs n'aimaient pas trop ceux du foyer, il y avait souvent des embrouilles. Et moi je téléphonais jamais, je sortais jamais. Là, je priais pour que la cabine ne soit pas détruite et que je puisse appeler le 17 sans devoir mettre de pièce ou un carte, vu que je n'avais ni l'un ni l'autre. Et, bon, tout c'est bien passé. Les flics ont débarqué, ils ont embarqué Samir qui dormait dans son lit comme si de rien n'était, et on ne l'a plus revu. Personne ne m'a jamais posé de question, ni convoqué, ni rien.
Tout à l'heure je parlais de La Grosse Revue. J'ai fini, avec un retard énorme, par en boucler le sommaire. Entretemps, c'est à dire depuis la fin de la souscription, il y a eu quelques changements dans le projet. Au départ, tel que le voyais le truc, ça devait être une revue annuelle, au format A5, d'environ 700 pages, mélangeant poésie, nouvelle, roman, dessin – une sorte d'état des lieux annuel de la création telle qu'on ne la trouve pas à la FNAC ou chez les gros éditeurs, un moyen de leur faire honte, un tremplin, aussi, avec un peu de chance, pour tous mes auteurs, pour s'y retrouver, justement, à la FNAC, et chez les gros. Pour ça j'ai levé des fonds via une souscription sur KissKissBankBank, il me fallait 2000 euros, je les ai obtenus en décembre 2013. Et puis je me suis mis au boulot, l'idée étant de sortir la revue en août 2014, c'est à dire maintenant. Au fur et à mesure que le travail avançait, mes idées changeaient, considérablement. Pas sur le fond, pas du tout. En revanche, la forme a pris une série de claques. La première : ce ne sera pas une revue mais une anthologie. En effet : je ne veux plus refaire un boulot aussi titanesque, donc, il n'y aura pas de numéro 2 dans l'immédiat – peut-être dans quelques années, qui sait ? Du coup, partant de ce constat, je me suis dit, plutôt que de faire un machin A5 avec du papier moche, autrement dit une sorte de super-fanzine, pourquoi ne pas essayer de faire quelque chose de beau, de vraiment haut de gamme, qui claque, qui ait de la gueule ? Et j'ai commencé à réfléchir à ce que je voulais – ce que je voulais vraiment.
Un format carré de belle taille (21x21, par exemple).
Du beau papier.
Une couverture rigide.
Une reliure cousue.
Mille pages.
Mille exemplaires au lieu de cinq cent.
De l'offset au lieu d'une impression numérique.
Payer vraiment les auteurs au lieu de leur jeter une aumône.
Et... un changement de nom.
Au lieu de :
LA GROSSE REVUE,
ça va s'appeler, tout simplement :
LA GROSSE.
Et du coup les coûts se sont envolés. Au lieu de deux mille balles, ce qu'il me faut, désormais, c'est trente mille.
Voici la suite des opérations :
En 2015 je fais, avec les auteurs, tout le travail de correction des textes. Ça devrait prendre environ six mois. Dans le même temps, je m'occupe de la maquette, l'idée étant d'avoir, d'ici septembre 2015, un objet terminé, c'est à dire prêt à être imprimé, afin de le sortir en 2016.
La question c'est donc : où vas-tu trouver le fric, pauvre fou ? J'ai deux solutions à ça : la première, c'est de faire le tour des mécènes possibles en leur montrant sous forme de .pdf l'objet fini et en cherchant de leur part un financement désintéressé – c'est fort possible que ça marche, j'ai quelques noms en tête. La deuxième solution, c'est la vente de ma baraque. Elle est estimée à cinquante mille euros, vous voyez donc que nous sommes larges.
Dans tous les cas, nous en saurons un peu plus d'ici à la fin 2015.
Et d'ici là voici, pour vous faire saliver un peu, le sommaire, par ordre alphabétique :
AL DENTON
ALAIN MINIGHETTI
ALEX BTZ
ANNABELLE VERHAEGHE
ANTONELLA FIORI
AURORE *U*
BARBARA ALBECK
BENJAMIN MONTI
BORIS CRACK
CATHERINE URSIN
CHARLES PENNEQUIN
CHRISTOPHE ESNAULT
CHRISTOPHE SIEBERT
CLAIRE VON CORDA
CLAUDE MARION
COSMINE MARIANE
DAVE 2000
EMMANUEL STEINER
FLUPKE CITRON
FRED GEVART
GASPARD PITIOT
GILLES LAFFAY
HD MARINELLA
HENRI CLERC
IVAN ZEMPLENI
JACQUES CAUDA
JEAN-FRANCOIS DALLE
JEAN-MARC RENAULT
JEAN-MARC SIRE
LAURA VAZQUEZ
LAURE CHIARADIA
LILAS MALA
LORNS BOROWITZ
LOUIS CADIAS
LUCAS OTTIN
MARC BRUNIER-MESTAS
MARLENE TISSOT
MATHIAS RICHARD
MICCAM
MICHEL MEYER
NATYOT
NICOLAS ALBERT G.
NICOLAS BOUDIN
NICOLAS BRULEBOIS
NIKOLA AKILEUS
NILS BERTHO
OLIVIER BKZ
PASCAL BATARD
PAUL KRAWCZAK
PAUL SUNDERLAND
PERRIN LANGDA
PERRINE LE QUERREC
PIERRE GRIMAL
RAYMOND PENBLANC
REMI TEULIERE
RITA PEDRAM
ROMAIN GIORDAN
RONAN ROCHER
SAM ECTOPLASM
SENILE CELINE
SOOMIZ
THIERRY RADIERE
THOMAS VINAU
TINAM SADIQUE
WALTER VAN DER MANTZCHE
YANNICK DOUBIBOP
(C'est pas garanti exempt de fautes)
Je sais pas vous, mais moi je trouve ça foutrement impressionnant.
Rendez-vous donc en 2015 pour les premiers extraits !
La place du mort poursuit son petit bonhomme de chemin. Je suis très fier de vous dire qu'il y a une chronique de ce roman dans le nouveau numéro d'Obsküre mag (paru en principe aujourd'hui, mais j'ai pas encore mis la main dessus). Fier pourquoi ? Parce que, après la critique de Poésie portable dans TGV mag, qui était le premier papier, sur un de mes bouquins, dans un canard à diffusion nationale, la critique de La place du mort dans Obsküre mag est mon premier papier dans un canard payant et diffusé en kiosque. C'est une putain d'étape importante, à mes yeux. Personne n'arrêtera plus mon ascension, prochaine étape, boire une pinte au Flore en utilisant le crâne à Sollers comme chopine.
En attendant, voici quelques nouveaux retours de lecteurs :
« La place Du Mort lu dans une voiture, puis terminé dans une chambre d'enfant rose avec posters de One Direction & J.Bieber : DONE ! J'ai préféré Nuit Noire, mais j'ai beaucoup aimé le passage sur le passé de Sammy ! »
(Reçu par message Facebook)
« Lu la place du mort de C. Siébert.
Si tu regardes la bête alors la bête te regarde... Je crois que
c'est Frédo la Moustache qui a dit ça mais je ne suis pas sûr... Inutile de dire qu'en lisant le bouquin de Siébert tu vois bien les deux yeux luisant de l'immonde te fixer régulièrement.
L’édition
Note à camion noir : ARRETEZ AVEC VOS SERIES Z A B C OU DELTA. Il n'y a que des livres, ou de la merde. On n'élève pas des poulets, et on ne calibre pas des pommes. On œuvre !
Le prix est élevé... Pfff, trop élevé. Mais ça je connais la chanson de l'imprimeur qui te voit arriver toi et ta petite maison d' édition et qui t'allume à bloc parce que tu lui demande un nombre d'exemplaires restreint et que ça le fait chier. Du coup ton bouquin avec une couverture au grammage anorexique se retrouve au prix de l'argent ou de l'or parfois même. La colle est bien, ça tient bien. Le visuel mouais, on a vu pire on a vu mieux. La mise en page OK, la police de caractères plutôt bien : agréable à lire, ne fait pas mal à la tête. Une coquille, deux sûrement. Je ne vois pas C. S. faire une faute d'accord aussi grossière.
La Forme
Formellement, C. S. écrit plutôt bien. Bien mieux que beaucoup aussi, et moins bien que d'autres. Mais si on commence à parler de Dostoïevski, d'Ellis ou de Costes... Bon je laisse Despentes de coté : on pense à elle en lisant ce bouquin mais je trouve qu'on est plus proche d'Ellis que de l'égérie goudou punk des années 90. D'ailleurs ces accumulations de virgules à l'américaine, même maîtrisées, ne sont pas ce qui est le plus efficace dans mon esprit malade. La musique des mots produite en français n'est pas la même qu'en anglais. Quand parfois il passe au point/nouvelle phrase, c'est bien... Bien bien mieux à mon goût. Peu de dialogues, il n'y en a véritablement qu'un, et finalement c'est une réussite. Le plaisir par la frustration est un classique indémodable. C'est aussi très professionnel. On dirait un premier livre. En tant qu'éditeur à la retraite je dirais : lâche-toi! LACHE-TOI ! Mots valises, accumulations erratiques et autres nonsenses qui font sens auraient fait mon bonheur. Je crois aussi qu'un jour C. S. devrait envisager plus long, plus fortement structuré. Là on est assis le cul entre le rythme et les exigences du pulp et une œuvre plus complexe, plus fouillée. Le bouquin se lit vite, trop ou pas assez... Sensation étrange que de ce
point de vue formel C. S. n'a pas voulu déranger l'éditeur, partir dans quelques longueurs... Je le comprends, les directeurs de collection sont d'une telle frilosité de nos jours qu'ils ont besoin d'anoraks au mois d'août.
Le fond
Autant vous dire que si vous voulez passer un moment agréable ça ne sera pas le cas. A moins que vous ayez de fortes tendances metanihil comme il dit, et que le chaos est la destruction soient vos hobby du dimanche. Mais vous passerez un moment rare d'intensité maléfique. Garanti. L'ouvrage grattouille donc un nihilisme adolescent issu d'une réaction à la culture sex/drogue/Rock'n'roll. Le vide, le néant comme seule issue. OK... OK. C’est pas nouveau, mais c'est très bien exprimé. Il en expose avec délectation le potentiel pratique inexploité jusqu’alors. Mais alors, quid des sentiments reliant la communauté de l'anal décrits par l'héroïne instigatrice de ce regroupement infernal de paumés ? Quels sont ils ? Quelle est leur essence même ? Je crois que ce point du récit est faible...
On retrouve par ci par la de petites fulgurances métaphorique tout à fait originales et plaisantes. Finalement ce bouquin a une vertu principale: c'est de nous faire réagir et tape la ou ça fait encore bien mal. Il nous révèle à notre part d'ombre, ne nous laisse pas nous complaire dans les qualités que nous nous attribuons facilement entre deux bouffées d'ego. C. S. ne voit pas la vie en rose et c'est bien ainsi. Il n'est pas la pour vous flatter, ni pour vous plaire et c'est assez rare de nos jours pour être souligné.
Est ce que je l'aurais édité. Oui. même si je ne comprends pas, ne suis pas dans cette démarche, je la trouve pertinente et intéressante. Et surtout, il y a un début de style, un début de panache, qui mériterait qu'on lui laisse le temps et les moyens de s'exprimer. »
(Reçu par mail)
« Salut Christophe,
J'ai fini La place... Fourbu mais jubilant, quel style, quel souffle, comment tu fais pour écrire un marathon à l'allure d'un sprint ?! Chapeau ! J'ai craint sur la fin que la Miss Néant vienne cramer mes toiles, mais non.. Déjà qu'elle m'avait donné l'envie de reprendre la clope, la garce !
Bises, et encore bravo, j'ai joui ! »
(Reçu par mail)
« Bon, oui, effectivement, j'ai traîné, trop occupé à me promener un peu n'importe où les cheveux en l'air et la tête dans la rentrée littéraire. Pas à lire La place du mort, non, mais à te faire un retour à ce sujet.
Déjà, quand je te dis que j'en ai lu des passages entiers à ma copine, qui a adoré (au point de me piquer le livre, donc), ça pèse un peu plus lourd que ce que tu peux penser : je ne lui lis comme ça, à haute voix, que les passages particulièrement excellents - j'entends, très bien écrits, vifs, d'une intelligence presque déroutante - des ouvrages que j'ai entre les mains. Là, par exemple, disons qu'elle m'a lu de beaux passages des textes sur le Funambule de Genêt, tandis que je lui ai offert quelques extraits bien troublants de La Place du mort, de Siébert.
Ensuite, faut aussi savoir que le traitement du cul, en général, dans un roman, et même s'il ne s'agit pas là non plus de l'essence complète de ton texte, me plaît franchement rarement, et me fait plutôt même bailler. Pas là, tu l'auras compris. Plus généralement, j'ai retrouvé dans La place du mort cette écriture incandescente (le terme est galvaudé, mais j'en fais vraiment rarement usage), d'une puissante monstrueuse (au sens propre - puissance et gueule cassée), que j'avais aimé dans tes autres textes que j'ai eu l'occasion de lire.
Même la cavalcade en tant que telle, avec ces épisodes qu'on pourrait estimer à tort (c'est à dire de l'extérieur) rattachés à une forme de fureur adolescente qui, là encore, serait susceptible de me faire somnoler, sans même parler de cette fascination maso-fétichiste de ton héroïne pour les brûlures de poitrine (l'outil de sa survie, mais aussi la marque de sa malédiction), résonnent d'une manière tout à fait particulière, en Grand, dans ma tête, encore aujourd'hui et sans doute pour un moment.
Quant à l'écriture, revenons-y deux secondes quand même : sur le fond, désolé de te dire ça à brûle-pourpoint, mais elle dénote une intelligence rarement égalée / tout est juste, tout est pertinent, tout est saisissant dans sa cruelle emphase, dans ses débordements haineux. Et sur la forme, là aussi, mazette, c'est loin d'être aussi dégueulasse que le propos pourrait l'autoriser (de manière facile, fainéante, et donc lassante). Putain, tu le sais sans doute déjà, et je n'aime pas trop utiliser le terme de "tripes" dans une recension, mais bon, disons pudiquement que tu es un sacré écrivain.
Je souhaite le mieux du monde pour ce bouquin, et vais veiller, à mon petit niveau, à contribuer à ce qu'il en soit ainsi. »
(Reçu par mail)
Et avant de vous raconter le dernier truc dont je voulais vous parler aujourd'hui, une petite annonce : il y a Rémi Teulière (un auteur de La Grosse, ça ne vous aura pas échappé), qui lance une souscription pour son prochain recueil de nouvelle. Toutes les infos sont ici :
http://fr.ulule.com/reves-cauchemars/Le 7 août dernier, j'ai exécuté mon deuxième Rituel Drone, et c'était le premier que je jouais devant un public – et pas n'importe quel public, puisqu'il s'agissait des patients de l'unité Désiré Bourneville du Centre Psychothérapique de l'Ain, à Bourg-en-Bresse, sous la houlette de Vivian Grezzini, et dans le cadre d'un projet thérapeutique qui a pour cadre, entre autres, l'organisation des concerts à destination des patients, des concerts de harsh, de grind, de toutes sortes de musiques bruitistes, en fait. Les patients ne sont pas des psychotiques, pas des junks, pas des suicidaires, c'est pas ce genre-là. Ce sont plutôt des handicapés mentaux sévères, souvent de naissance, et du genre bien lourd, il y a Jean-Paul (oui, alors, les prénoms ont été changé suite à la demande de mon cerveau, totalement dépassé dès qu'il s'agit de se souvenir de ce genre de détail) qui demande toutes les cinq minutes à quelle heure ça commence, et qui trimbale un livre de coloriage ; il y a Anne, qui porte des couches et ne parle pas vraiment ; il y a Thierry, qui se bave dessus (et qui m'a ruiné le micro de salive quand je le lui ai passé, mais ça valait le coup, parce qu'il a envoyé de putains de hurlements de sa mère, ho, yeah) ; il y a Sabine, qui doit avoir dix-neuf ou vingt balais et qui se jette à ton cou et t'embrasse comme une môme de trois ans, ça fait drôle ; il y a tous les autres, Jackie qui a tendance à mordre ses camarade, Henri qui a des croûtes plein le crâne – il est chauve et il tombe beaucoup, j'imagine ? –, Frank qui hurle et applaudit toutes les cinq minutes, Marc dont le principal plaisir est d'aider à ranger le matos une fois que c'est terminé ; il y a ceux qui m'ont dit que j'étais un poète, que c'était bien et qu'en plus ça faisait dormir, il y a ceux qui ont dessiné l'affiche et qui me l'ont donnée (et, petit message destiné aux orgas : c'est la première fois qu'on me file un original, les mecs) ; il y a ceux qui ont trépigné pendant l'installation, ceux qui m'ont scruté pendant les balances, mention spéciale à Georges, qui pendant tout le set s'est tenu presque contre moi, très sage, hyper attentif, le regard rivé à ma liseuse et aux instruments, il y a ceux qui hurlaient pendant la lecture, ceux qui hurlaient pendant les passages musicaux (et quand je parle de hurlement, il ne faut pas imaginer le glapissement glauque façon asile psychiatrique anglais du dix-neuvième siècle, nonon, plutôt le gueulot extatique et joyeux d'un trippé de naissance), il y a ceux qui chantaient, ceux qui écoutaient, ceux qui applaudissaient à tout rompre, ceux qui avaient l'air attentif, il y a ceux qui se sont succédés au micro après le set pour y crier des trucs inintelligibles et très beaux. Merci à Louis d'avoir surveillé notre consommation de café et de clopes (car c'est mauvais pour la santé), merci à tous et toutes de m'avoir accueilli chez eux, dans leur vie quotidienne, et d'avoir échangé avec moi avant et après le concert, c'était formidable, merci à Vivian pour l'orga sans faille et à ses camarades infirmiers pour leur soutien, mention spéciale à une jeune infirmière ou aide-soignante dont j'ai oublié le nom et qui avait l'air terrorisée, je ne sais pas si c'était le public chaud comme la braise ou les saloperies que je disais, mais elle n'en menait pas large.
A titre personnel, enfermé pendant quelques heures là-dedans (il faut qu'un type t'accompagne avec les clefs pour aller pisser, il faut ouvrir trois portes et les refermer derrière toi pour fumer une clope sur le perron, et ce qui déconcerte, c'est pas qu'il faille le faire, c'est que ça paraisse aussi naturel et normal à ceux qui ont les clefs), j'ai revécu tous mes fantasmes de jeunesse, quand je voulais être moine juste pour ne plus voir personne, quand j'étais si bien, en foyer de SDF, parce que je pouvais m'enfermer dans ma chambre et cesser aux yeux des autres d'exister ; j'ai toujours imaginé que je ferais un prisonnier modèle. C'était étrange de parler à ces gens de vingt, trente, cinquante ans et trois ans d'âge mental, ou quatre, ou six, et de pas se sentir tellement différent, de pas se sentir tellement dépaysé. C'était intéressant de mesurer à quel point les handicaps de ces gens faisaient écho à mes propres trous, c'était à la fois confortable (putain, enfin chez moi !) et un peu flippant, pour toutes les raisons que vous imaginez.
J'ai adoré.
A dans quinze jours.
Je vous aime,
Christophe Siébert.